lundi 2 mars 2015

L'inscription de Cléon, traduite dans un billet précédent, est une inscription honorifique. Mais de quoi s'agit-il exactement ?

La cité grecque antique peut se définir, d'un point de vue moderne, comme une société organisée autour d'un corps de citoyens impliqués plus ou moins étroitement, mais de manière constante, dans la gestion de cette société. La communauté est ainsi en négociation constante avec ses représentants, choisis pour gérer les intérêts de la communauté et contrôlés par celle-ci. Dans ce cadre, à côté du contrôle des magistrats, particulièrement poussé dans une cité démocratique comme Athènes au IVe s. av. n. è., la communauté civique a été amenée à rendre régulièrement des honneurs à certains de ses membres ou à des étrangers qui lui avaient rendu service.
Cette pratique perdure et même se développe dans les cités grecques de l'orient romain aux premiers siècles de n. è., même si, comme Sparte, elles ne jouent plus sur le plan international le rôle qu'elles avaient occupé avant la domination romaine.

Comment la cité délivrait-elle des honneurs et quels documents nous informent-ils à ce sujet ? Même s'il y a des variations d'une époque à l'autre et d'une cité à l'autre, il est possible de résumer la procédure comme suit : En raison d'un bienfait accompli par un individu, la cité propose de l'honorer. Le bienfait peut être insignifiant, ce peut être l'accomplissement sans faute d'une charge administrative banale, mais aussi une donation magnifique. La proposition émane d'un citoyen ou d'un magistrat, souvent, sans doute, à la demande de l'honoré lui-même, et est faite devant l'instance compétente, conseil et/ou assemblée, selon les cités. La proposition était argumentée et, avec le temps, s'est de plus en plus apparenté à un éloge en règle. Le vote du conseil et/ou de l'assemblée donnait lieu à la rédaction d'un décret reprenant dans ses considérants les éléments essentiels de la proposition et listant les honneurs délivrés. Ceux-ci ont grandement varié avec le temps, d'une couronne de feuillage dans l'Athènes du Ve s. v. n. è. jusqu'aux funérailles nationales ou l'érection de plusieurs statues dorées dans les cités grecques d'Asie Mineure d'époque impériale.

Le décret était parfois inscrit, et c'est ce qui nous vaut d'en avoir conservé un certain nombre qui sont une mine inépuisable d'informations sur la vie des cités. Bien souvent, seuls étaient inscrits des textes qui évoquaient ou résultaient du décret initiale et le résumait en une simple formule. C'est le cas pour l'inscription de Cléon (IG V1 660) :



          ἁ πόλις
     Κλέωνα Σωσικρά-
     τους ἀγωνισάμενον
4   τὸν ἐπιτάφι[ον Λεωνίδα]
     καὶ Παυσαν[ία καὶ τῶν λοι]-
     πῶν ἡρώω[ν, καὶ στεφα]-
     νωθέντ[α — — — ἕνεκα]
8   καὶ σεμν[ότατος, τὸ ἀνά]-
     λωμα προ[σδεξαμένων —]-
     ωνος το[ῦ — — — — — —]
     καὶ Δαμοκ[ράτους τοῦ — —]-
12 ωνος τῶν [— — —]

"La cité | (honore) Cléon, fils de Sosicra|tès qui a participé | aux jeux funéraires de Léonidas, | Pausanias et les au|tres héros et qui a été couron|né en raison de - - - | et de sa dignité, la dé|pense étant prise en charge par - - - |on le fils de - - - | et Damocratès le fils de - - - |on, ses - - -"


La mention de la cité qui ouvre le texte témoigne du caractère officiel du texte, ou plutôt du monument qui porte le texte. Il s'agit d'une statue (perdue) et de sa base, dont l'érection a été votée par l'instance représentative de la cité, l'assemblée dans le cas qui nous occupe. Un décret était donc conservé dans les archives de la cité entérinant la décision et fixant les modalités de son exécution. Le décret pouvait ainsi contenir (­outre les raisons qui fondaient la décision d'honorer Cléon d'une statue, et dont on a un écho dans le texte) des indications précises sur le lieu où la statue pouvait être érigée ou les modalités financières de sa mise en place. L'inscription nous informe ici que la dépense n'a pas été assumée sur fonds publics, mais sur fonds privés, l'état du texte ne nous permettant malheureusement pas d'identifier les donateurs. Les termes de l'inscription portés par la base de statue pouvaient également avoir été fixé par le décret et refléter ainsi assez fidèlement le discours officiel de la cité.

La motivation du décret est ainsi résumée dans un membre de la phrase décrivant la raison pour laquelle  Cléon a été honoré, lui "qui a participé | aux jeux funéraires de Léonidas, | Pausanias et les au|tres héros et qui a été couron|né en raison de - - - | et de sa dignité". Ces louanges, pour stéréotypées qu'elles puissent paraître ne sont, d'une part, qu'un reflet des propos effectivement tenus pour justifier l'honneur décerné à Cléon devant l'assemblée, mais répondent, d'autre part, à un système honorifique où toutes les qualités ne se valent pas et où à des actes précis répondent des louanges déterminées. Mais ceci fera l'objet d'autres billets.

mardi 25 février 2014

Le théâtre de Sparte



Le théâtre est un des rares points assurés de la topographie de Sparte. Le site en a été reconnu dès le XVIIIe s. par les voyageurs occidentaux visitant le site. Après une première série de sondages ponctuels opérés dans le cadre de l’exploration de l’acropole (cf. G. Dickins, Annual of the British School at Athens [ci-après ABSA], 12, 1905-1906, p. 394-406 ; Ch. Waldstein avait déjà ouvert une tranchée dans la cavea en 1892 : Journal of Hellenic Studies, 13, 1892-1893, p. 146), des fouilles y ont été menées à grande échelle entre 1924 et 1928 dans le but d’en préciser le plan et la chronologie (A.M. Woodward, ABSA, 26, 1923-1925, p. 119-158 ; ABSA, 27, 1925-1926, p. 175-209 ; ABSA, 28, 1926-1927, p. 3-36 ; ABSA, 30, 1928-1930, p. 151-240), puis à nouveau de 1992 à 1998, en vue de donner une publication complète de l’édifice (cf. ABSA, 94, 1999, p. 437 n. 1). Trois rapports détaillés ont dressé le bilan de ces nouvelles recherches (G.B. Waywell & a., ABSA, 90, 1995, p. 435-460 ; G.B. Waywell & J.J. Wilkes, ABSA, 94, 1999, p. 437-455, pl. 46-61 ; G.B. Waywell, J.J. Wilkes & S.E.C. Walker, « The Ancient Theatre at Sparta », dans Sparta in Laconia, p. 97-111).

Le théâtre de Sparte avec, en arrière plan, la ville moderne et le massif du Taygète (Photo O. Gengler, mai 2012)

L'orchestra du théâtre et les premiers rangs de gradins, en partie dégagés lors des fouilles (Photo O. Gengler, mai 2012)

Sans préjuger de la présence d’un théâtre plus ancien sur le même site, les archéologues ont pu fixer la date de construction des structures actuellement visibles dans les dernières décennies du Ier siècle avant J.-C. et ont proposé de l’attribuer à un acte d'évergétisme - c'est-à-dire de bienfaisance - du potentat local C. Iulius Euryclès. Dans son premier état, le théâtre comprenait un dispositif permettant de déployer des décors amovibles tel que le décrit Servius (commentaire à Virgile, Géorgiques, III, 24) ; ce dispositif aurait été abandonné à l’époque de Néron, et remplacé par un bâtiment de scène monumental.
Selon Lucien, Anacharsis, 38, le théâtre voyait s’affronter, dans un jeu de balle, des groupes de jeunes Spartiates dans lesquels il faut reconnaître les sphaireis qui, selon Pausanias, faisaient un sacrifice à Héraclès sur le Dromos, un champs d'entraînement sans doute tout proche (cf. Pausanias, III, 14, 6). Peut-être Lycurgue, le légendaire législateur de Sparte, qui avait sa statue au théâtre (du moins au IVe s. ap. J.-C. : cf. SEG, XI, 773 et 810), patronnait-il également ces jeux, tout comme il patronnait avec Héraclès les concours de lutte du Platanistas, sorte de ring entouré d'eau et de platanes où combattaient les éphèbes (cf. 14, 8 avec N.M. Kennell, The Gymnasium of Virtue, p. 62).
Le théâtre où, selon Hérodote, VI, 67 et Plutarque, Agésilas, 29, 3, se déroulaient les Gymnopédies, célèbre festival organisé en l'honneur d'Apollon, devait être une structure légère, sans doute installée sur l’agora, à l’endroit que Pausanias appelle Choros, le "Choeur" (III, 11, 9).

Outre la bibliographie citée dans le texte, on peut lire une intéressante présentation du théâtre de Sparte sur la page du Musée de Mayence.
Pour en savoir plus sur Pausanias, voir le début de ce post.

Ce contenu reprend de manière adaptée la matière de mon commentaire au texte de Pausanias à paraître aux éditions des Belles Lettres: Pausanias, Description de la Grèce, III : La Laconie, texte établi par M. Casevitz, introduction, traduction et commentaire par O. Gengler, Paris, Les Belles Lettres, sous presse (Collection des Universités de France).

samedi 8 février 2014

Pausanias et le théâtre de Sparte


Pausanias est un auteur du deuxième siècle de notre ère dont, en fait, nous savons très peu de chose. Comme souvent, c’est du texte même qui nous est parvenu sous son nom, que nous pouvons tirer quelques renseignements sur l’auteur.

Il apparaît ainsi qu’il doit être né sous le règne de l’empereur Hadrien (°76, emp. 117-138) et qu’il vivait certainement encore sous le règne de Marc-Aurèle (° 121, emp. 161-180) dont il doit avoir été l’exact contemporain.

Dans les années 173-175, Pausanias a rédigé une Description de la Grèce (Περιήγησις Ἑλλάδος), parcours à travers les cités de la Grèce continentale rassemblant, sur une trame topographique, des récits historiques et mythologiques, des informations sur les cultes, sur les traditions, sur les monuments. Il a auparavant voyagé à travers la Grèce et vu beaucoup de ce dont il parle. Son œuvre n’est cependant ni un récit de voyage, ni un guide touristique. Compilant un grand nombre d’informations livresques, sa Description de la Grèce, n’était également pas destinée à être lue sur le terrain.

L’auteur n’a pas rédigé d’introduction à son ouvrage ou, s’il l’a fait, elle est aujourd’hui perdue. Ce ne serait pas étonnant, dans la mesure où les premières feuilles d’un livre sont les plus menacées et pourraient, au cours de la tradition, avoir disparu. Le texte de Pausanias nous est en effet connu par des copies manuscrites du XVe s. remontant à un seul exemplaire arrivé en Italie avant 1418 chez un certain Niccolò Niccoli. Si cet exemplaire était incomplet, notre texte l’est aussi. L’analyse paléographique, cette spécialité de la philologie qui s’occupe des manuscrits, révèle que l’exemplaire dont dérive toutes les copies existantes du texte, et qui est aujourd’hui perdu, n’était pas antérieur au Xe s., car il devait être écrit en minuscule. Il était lui-même la copie d’un codex en majuscule, datant peut-être du VIe s., remontant lui-même à un exemplaire reproduit sur dix rouleaux de papyrus. Avec plus ou moins d’étapes entre chacun de ces relais, le texte que nous pouvons lire aujourd’hui dans nos éditions modernes est donc le produit, le moins imparfait possible, d’un travail scientifique portant sur des copies, d'une copie, de copie, de copie... du texte écrit par Pausanias.

Pour autant, il n’est pas certain que quoi que ce soit manque au début de la Description de la Grèce et Pausanias saisit par deux fois l’occasion de préciser un peu le but poursuivi par sou ouvrage, à la fin de la partie consacrée à l’Attique (Athènes et sa région) et avant d’entamer la description de la ville de Sparte (Pausanias, Description de la Grèce, III, 11, 1) :
Ὃ δὲ ἐν τῇ συγγραφῇ μοι τῇ Ἀτθίδι ἐπανόρθωμα ἐγένετο, μὴ τὰ πάντα με ἐφεξῆς, τὰ δὲ μάλιστα ἄξια μνήμης ἐπιλεξάμενον ἀπ’ αὐτῶν εἰρηκέναι, δηλώσω δὴ πρὸ τοῦ λόγου τοῦ ἐς Σπαρτιάτας· ἐμοὶ γὰρ ἐξ ἀρχῆς ἠθέλησεν ὁ λόγος ἀπὸ πολλῶν καὶ οὐκ ἀξίων ἀφηγήσεως, [ὧν] ἃ ἕκαστοι παρὰ σφίσι λέγουσιν, ἀποκρῖναι τὰ ἀξιολογώτατα. ὡς οὖν εὖ βεβουλευμένος οὐκ ἔστιν ὅπου παραβήσομαι.
« La mise au point qui se trouvait dans mon écrit sur l’Attique — à savoir que je n’ai pas tout dit à la suite, mais uniquement ce qui est digne de mémoire, après sélection — je vais la clarifier avant de dire ce qui concerne les Spartiates : dès le début, mon propos a voulu, de la masse des choses indignes d’être rapportées et que chacun dit chez soi, distinguer ce qui mérite le plus d’être dit. Par conséquent, comme c’est un plan auquel j’ai bien réfléchi, nulle part je ne m’en écarterai. » (Trad. O. Gengler, texte établi par M. Casevitz, pour Les Belles Lettres)
Pausanias décrit donc ce qui vaut la peine d’être rapporté de la ville de Sparte, et avant tout son agora, sa place publique (III, 11, 2-11). C’est un vaste espace rempli de statues et de lieux de culte, dont la localisation n’est pas certaine. À la description de cet espace, Pausanias en rattache d’autres, concernant des lieux adjacents à l’agora (à partir de III, 12, 1), comme cette voie menant vers l’ouest et le théâtre (Pausanias, Description de la Grèce, III, 14, 1-2) :
Ἐκ δὲ τῆς ἀγορᾶς πρὸς ἥλιον ἰόντι δυόμενον τάφος κενὸς Βρασίδᾳ τῷ Τέλλιδος πεποίηται· ἀπέχει δὲ οὐ πολὺ τοῦ τάφου τὸ θέατρον, λίθου λευκοῦ, θέας ἄξιον. τοῦ θεάτρου δὲ ἀπαντικρὺ Παυσανίου τοῦ Πλαταιᾶσιν ἡγησαμένου μνῆμά ἐστι, τὸ δὲ ἕτερον Λεωνίδου— καὶ λόγους κατὰ ἔτος ἕκαστον ἐπ’ αὐτοῖς λέγουσι καὶ τιθέασιν ἀγῶνα, ἐν ᾧ πλὴν Σπαρτιατῶν ἄλλῳ γε οὐκ ἔστιν ἀγωνίζεσθαι—, τὰ δὲ ὀστᾶ τοῦ Λεωνίδου τεσσαράκοντα ἔτεσιν ὕστερον ἀνελομένου ἐκ Θερμοπυλῶν τοῦ Παυσανίου. Κεῖται δὲ καὶ στήλη πατρόθεν τὰ ὀνόματα ἔχουσα οἳ πρὸς Μήδους τὸν ἐν Θερμοπύλαις ἀγῶνα ὑπέμειναν.
« Quand, de l’agora, on va dans la direction du soleil couchant, a été bâti un cénotaphe pour Brasidas, le fils de Tellis. Peu éloigné de la tombe se trouve le théâtre, en marbre, qui mérite d’être vu. En face du théâtre se trouve un monument de Pausanias, qui a commandé à Platées, quant à l’autre, c’est le monument de Léonidas — et chaque année en leur honneur on prononce des discours et on organise des concours auxquels personne d’autre que les Spartiates ne peut participer — et les ossements de Léonidas, quarante ans plus tard, ont été recueillis et rapportés des Thermopyles par Pausanias. Il y a aussi une stèle qui énumère avec leur patronyme ceux qui ont soutenu contre les Mèdes le combat des Thermopyles. » (Trad. O. Gengler, texte établi par M. Casevitz, pour Les Belles Lettres)

C’est de ce texte que provient l’élément les plus significatif pour localiser approximativement l’agora de Sparte : elle se trouvait à l’est du théâtre, puisque celui-ci est proche du cénotaphe de Brasidas, lui-même à l’ouest de l’agora. Or le théâtre antique de Sparte est parfaitement identifié. Il s’appuie sur le flanc sud d’une colline qui borde une oliveraie au nord de la ville moderne. Le théâtre, connu déjà de bon nombre de voyageurs modernes, a fait l’objet de fouilles systématiques dans les années 1900, 1920 et 1990 (voir maintenant le post suivant).

C’est donc là, nous apprend Pausanias, que se trouvaient deux monuments funéraires élevés en l’honneur de Léonidas, le héros des Thermopyles, et de Pausanias, homonyme de notre auteur, qui mena les Grecs à la victoire contre les Perses à la bataille de Platées (479 av. n. è.). Une stèle portait également le nom des 300. Le texte de Pausanias qui mentionne également un concours réservé aux seuls Spartiates confirme et complète le témoignage de l’inscription pour Cléon, fils de Sosicratès, que nous avons déjà évoquée. Pausanias nous apprend que le concours était associé à une performance rhétorique et confirme qu’il honorait Léonidas dont le nom doit être restitué dans l’inscription. Celle-ci nous révèle en retour que la célébration incluait « les autres héros » où l’on reconnaîtra les 300 dont la stèle commémorative jouxtait les monuments de Léonidas et de Pausanias. Mais comment était structuré cet espace ? Et en quoi consistait ces concours ? Ce sera l’objet d’un prochain billet…

Pour en savoir plus

Ce contenu reprend de manière simplifiée et adaptée la matière de mon commentaire au texte de Pausanias à paraître aux éditions des Belles Lettres: Pausanias, Description de la Grèce, III : La Laconie, texte établi par M. Casevitz, introduction, traduction et commentaire par O. Gengler, Paris, Les Belles Lettres, sous presse (Collection des Universités de France).

Sur Pausanias, quelques livres récents :

Chr. Habicht, Pausanias’ Guide to Ancient Greece, Berkeley, 1985, 2e éd., 1998 (Sather Classical Lectures, 50) ; il en existe une version allemande : Pausanias und seine »Beschreibung Griechenlands«, Munich, 1985.
W. Hutton, Describing Greece. Landscape and Literature in the Periegesis of Pausanias, Cambridge, 2005.
M. Pretzler, Pausanias. Travel Writing in Ancient Greece, Londres, 2007 (Classical Literature and Society).

Sur la tradition du texte :

A. Diller, « Pausanias in the Middle Ages », TAPhA, 87 (1956), p. 84-97 = Studies in Greek Manuscript Tradition, Amsterdam, 1983, p. 149-162 avec les n. 19-20 p. 480 ; « The manuscripts of Pausanias », TAPhA, 88 (1957), p. 169-188 = Studies, p. 163-182 avec les n. 21-24 p. 480. 
M. Casevitz dans M. Casevitz, F. Chamoux, J. Pouilloux, Pausanias, I: L’Attique, xxxi-xlvi.
D. Marcotte, « La redécouverte de Pausanias à la Renaissance », Studi Italiani di filologia classica, 85, 3e serie, 10 (1992), p. 872-878.

Sur les pratiques descriptives de Pausanias :

J. Akujärvi, « One and ‘I’ in the Frame Narrative : Authorial Voice, Travelling Persona and Adressee in Pausanias’ Periegesis », The Classical Quarterly, 62, 2012, 327-358.

Cléon, fils de Sosicratès

(ENDE)

Je voudrais vous présenter aujourd'hui une inscription de Sparte, datant du IIe s. av. notre ère, probablement de l'époque de Trajan. Elle a été mise au jour pour la première fois au XVIIIe s. "près du théâtre" de Sparte par l'érudit français Michel Fourmont (1690-1746), qui voyagea à travers la Grèce à la recherche de manuscrits anciens durant les années 1729-1731 et copia un grand nombre d'inscriptions. (Michel Fourmont est un personnage fascinant sur lequel je reviendrai très certainement bientôt.) Des archéologues britanniques ont redécouvert l'inscription au cours de leurs fouilles "dans une tranchée près du théâtre" (Annual of the British School at Athens, 12, 1906, 478). Voici le texte (IG V1 660) :


          ἁ πόλις
     Κλέωνα Σωσικρά-
     τους ἀγωνισάμενον
4   τὸν ἐπιτάφι[ον Λεωνίδα]
     καὶ Παυσαν[ία καὶ τῶν λοι]-
     πῶν ἡρώω[ν, καὶ στεφα]-
     νωθέντ[α — — — ἕνεκα]
8   καὶ σεμν[ότατος, τὸ ἀνά]-
     λωμα προ[σδεξαμένων —]-
     ωνος το[ῦ — — — — — —]
     καὶ Δαμοκ[ράτους τοῦ — —]-
12 ωνος τῶν [— — —]

"La cité | (honore) Cléon, fils de Sosicra|tès qui a participé | aux jeux funéraires de Léonidas, | Pausanias et les au|tres héros et qui a été couron|né en raison de - - - | et de sa dignité, la dé|pense étant prise en charge par - - - |on le fils de - - - | et Damocratès le fils de - - - |on, ses - - -"

Le texte, inscrit sur un grand bloc de pierre, n'est pas entièrement lisible: la partie droite de la pierre à partir de la quatrième ligne est apparemment endommagée (je n'ai pas vu la pierre personnellement et les archéologues n'en ont donné aucune description). Les mots notés entre crochets droits [ ] ont été perdus et ne peuvent être restitués que dans certaines limites.
Aux lignes 7-8 venait, à côté de la dignité, la mention d'une autre vertu pour laquelle Cléon était loué. Le premier éditeur, August Boeckh, dans son Corpus Inscriptionum Graecum (CIG), I.4, 1828, numéro 1417, restituait ainsi le texte des lignes 7-8: [... καὶ στεφα|νωθέντ[α ἀνδρείας ἕνεκα]|8 καὶ σεμν[ότατος βίου...] "et qui a été couronné en raison de sa vigueur et de la dignité de son mode de vie", reprenant les formules d'une autre inscription de Sparte plus complète (CIG 1426 = IG V1 472). Mais cette inscription honore un jeune homme qui s'est illustré dans un autre cadre (sur lequel il faut voir le livre de N.M. Kennell, The Gymnasium of Virtue: Education and Culture in Ancient Sparta, Chapel Hill, 1995 [c.r.]) et il ne me semble pas certain que les vertus louées chez Cléon comme vainqueur aux jeux en l'honneur de Léonidas soient les mêmes que pour lui. Si le mot σεμνότατος (forme dorienne de σεμνότητος, qu'il ne faut toutefois peut-être pas conserver) est assuré, il me semble aussi que rajouter le mot βίου "(dignité) de son mode de vie" est non seulement inutile, mais aussi trop long. En comparant avec les autres lignes, il semble que l'on aurait avec ce mot plus de lettres que l'espace à combler ne pouvait en contenir.
Dans son édition pour le grand corpus de référence de l'Académie de Berlin, les Inscriptiones Graecae (IG), V.1: Laconia et Messenia, 1913, Walther Kolbe proposait à titre d'hypothèse de reconstituer les noms des lignes 9-12: [Κλέ]ωνος ... Δαμοκ[ράτους τοῦ Δαμί]ωνος (ce dernier d'après IG V1 212 l. 4) et d'y reconnaître les neveux (l. 12 τῶν [ἀδελφιδῶν]) de Cléon. Il y aurait bien d'autres possibilité et, sans savoir quel âge pouvait avoir Cléon au moment où il fut honoré, il me semble aventureux de lui attribuer des neveux.
La restitution du nom de Léonidas à la ligne 4 est quant à elle assurée, grâce à un beau passage de Pausanias que je commenterai dans un prochain billet...